TRANSMISSION
Certains pensent en images, d’autres en mots.
Certains affirment que toute pensée surgit en image avant d’être mots.
Certains enfants vouent une passion à dessiner.
Certains s’y refusent sous prétexte qu’ils ne savent pas dessiner. Tous les enfants savent dessiner, si on entend par dessin: toutes traces que laisse le mouvement du corps sur un support. Accueillir cela est le défi auquel est confronté le thérapeute.
L’enfant nous adresse son dessin dans le temps transférentiel de la séance. Je, me dessine, te dessine, nous dessine. Je, est à entendre comme sujet de l’Inconscient freudien. Je me dessine: ce qui surgit sur la feuille et que découvre l’enfant dans le même temps, il le voit, mais il est aussi regardé par sa création, ce qui n’est pas sans effet. Je te dessine: c’est l’adresse, le transfert aura-t-il lieu? Je nous dessine: le transfert est une co-création, comme le dessin qui prend corps pendant le temps de la séance.
Depuis de nombreuses années je propose à des thérapeutes d’enfants de se retrouver régulièrement pour partager leur expérience clinique du travail avec les dessins que leur adressent leurs jeunes patients.
À l’occasion du colloque en 2019, un groupe constitué de quatre thérapeutes d’expérience s’est proposé d’accueillir trois étudiants de master en psychopathologie clinique dirigé par Marie Dessons. L’enjeu : accueillir de très jeunes cliniciens, dans un tel lieu, peut-il s’avérer fécond pour eux et le groupe constitué ?
En sachant qu’ils ne feront pas de présentation clinique à la différence des autres thérapeutes. Les témoignages sont assez éloquents quant à cette question (atelier Transmission lors du colloque « Dessine-moi une énigme » à Montpellier en 2019 voir les Actes du colloque.)
Mais que se transmet-il dans ce lieu singulier ?
Le partage d’une expérience clinique, où les mises en jeu transférentielles peuvent parfois se métaboliser. Étrange lieu où un thérapeute peut venir déposer ses doutes, ses questions sur ce qui fait énigme, et qui met au travail une communauté de thérapeutes solitaires. Découvrir que chaque thérapeute a une écoute singulière et sa façon d’être dans la rencontre avec l’enfant. Que la clinique est première. Que les références théoriques indispensables ne doivent pas nous rendre aveugles à ce qui se produit en nous. Juste être là et avoir la liberté de « jouer » au sens de Winnicott.
Jouer avec les signifiants du discours de l’enfant, avec ses mots à lui, comme savait si bien le faire F. Dolto. Mais aussi en prenant le temps de regarder le dessin qui se présente à nous et accepter de vivre ce qu’il vient mettre en mouvement. Être là et jouer avec ce qui se présente dans l’instant, le temps si singulier du transfert, où les différents temps du sujet peuvent se retisser. Prendre conscience de la puissance créative du jeu du désir et de ses effets. D’une certaine façon, être confronté à cette place si singulière de thérapeute.
Michel FRUITET